Ricardo Mbarkho, 33 ans, est un artiste-vidéaste
libanais. Ricardo filme, ne cesse de filmer. Il ne se séparera
jamais de son caméscope, comme brandi contre toute ombre
malveillante. Le caméscope est à la base de cette forme d’expression
qu’est l’art-vidéo. Il s’agit d’un art particulièrement économique
car il ne nécessite pas l’achat ou l’emploi de grands moyens
matériels.
Au répertoire de cet artiste, on compte ainsi un
réseau composé de trois oeuvres centrées sur la communication par le
biais d’internet (comme LebaneseGroup, Connected ou encore
Visitors), des installations-vidéo et des vidéo (comme A la mémoire
de Basil Fuleihan, Plus que normal et Gare de Lyon-Juvisy ). Ricardo
Mbarkho est précurseur d’une nouvelle philosophie de l’art :
l’art qu’il revendique est tout simplement une manière d’être. Sa
citation culte : “chacun a de l’art ce que l’art a de
lui-même’’. Selon lui, la création doit être un moyen et non pas une
fin en soi. Elle doit participer activement à l’avènement d’un
‘’réseau’’, constitué d’un principe de pensée nouvelle, de brassage
et de dialogue interculturel, contre le règne hostile de
l’incommunicabilité.
Ricardo est diplômé de l’Institut supérieur des
beaux-arts de Beyrouth, de l’ Ecole Nationale Supérieure des
Beaux-Arts de Paris, ainsi que de l’Ecole Supérieure des Etudes
cinématographiques. A cheval entre la France et le Liban, cet
artiste vit aujourd’hui à un rythme vertigineux : Ricardo
enseigne, crée, expose au Liban, en France et un peu partout dans le
monde. Il incarne ainsi l’archétype même du Libanais
« ambitieux » : l’étudiant qu’il était s’est lancé
dans la vie, notamment dans l’univers de la vidéo et du 7ème art, mû
par une solide volonté de réussir et de représenter l’appartenance
socio-culturelle libanaise à un public à la fois national et
international, au-delà des préjugés et en y mêlant sans pudeur
rêves, idéaux et jardin secret. Tout cela bien sûr dans le contexte
d’un Liban meurtri.
Pourquoi avoir choisi l’art vidéo
comme support et base de votre créativité en tant
qu’artiste ?
Ricardo Mbarkho : Avant toute
chose, je dois dire que mon travail se concentre autour d’une
question précise : celle de l’identité, du relationnel et du
social au Liban, dans l’ensemble du moyen-orient et dans le monde en
général.
L’art vidéo peut passer dans les médias plus facilement
que les autres formes artistiques comme par exemple la sculpture, la
peinture etc ... Cet art est un moyen d’expression et de
communication facilement copiable, il est plus accessible pour le
public. On peut le reproduire et le travailler sur un P.C par
exemple.
Il est par excellence un support puissant, d’autant
plus que de nos jours l’image, quelle soit mobile ou fixe, est
partout. Elle se diffuse dans la vie de tous les jours. Elle joue un
rôle phare et prépondérant dans la société contemporaine :
télévision, cinéma, photographie ...
Dans vos oeuvres il s’agit surtout
d’art expérimental où le social et le politique s’interpénètrent
étroitement ...
La tête de pyramide dans le cinéma,
c’est en grande partie le “comment raconter”.
Dans l’art
expérimental, on n’est plus dans le “comment raconter”, ce qui
compte c’est plutôt le positionnement personnel de l’artiste en
fonction d’un vécu social précis et de l’englobant “Société”. Mon
travail artistique est conçu et réalisé sur un support donné, celui
de la vidéo. Il correspond à une trajectoire qui va du “serré” au
“large”. Le plan “serré” fait ici référence à un point de vue
particulier : celui de la projection intime, privée,
personnelle et à l’imaginaire de l’artiste. Le plan large fait
référence au concept de ce même point de vue du serré mais étendu à
une vision globale d’une société toute entière, comme par extension.
Et, toujours en ce qui concerne la perspective de mon travail, et ce
contexte de plan serré / plan large, ma dernière vidéo
expérimentale, que je viens de terminer (juin 2007, durée de 3.36
secondes, paru au Goethe-Institut à Beyrouth) évoque bien cette
dimension et ce contexte de plan serré / plan large. Le synopsis de
ma dernière œuvre, que j’ai intitulée Araméens, reflète la
trajectoire de l’identité et de la mobilite araméenne, depuis la
fuite en Irak etc ... Le personnage de la femme dans cette vidéo
concentre en elle la race araméenne et ce principe de l’appartenance
identitaire qui est entre autres libanaise.
Comment l’art-video est-il
considéré au Liban, quel public vise t-il
particulièrement ?
Depuis 2000, l’art vidéo
devient de plus en plus à la mode au Liban. On peut même parler de
véritable “phénomène”, d’expansion continue et de renaissance. En
effet il faut dire que cette forme artistique connaît un essor plus
que considérable.
L’art vidéo devient un média à part entière,
ayant une existence propre comme la peinture, la sculpture, la
photographie. Il est de plus en plus reconnu au Liban et suscite
surtout l’intérêt des jeunes.
Le Liban... un
avenir ?
Je n’arrive pas à penser l’avenir de
manière méliorative et je ne peux parler de stabilité politique car
le Liban a subi et continue de subir des crises à tous les niveaux.
Ces crises se font par phases tantôt alternées tantôt successives.
La paix n’est jamais définitive, elle est momentanée. Les
problèmes sont malheureusement de plus en plus nombreux et ont une
origine très complexe et surtout quasi-originelle. Le conflit est
omniprésent. Et c’est l’essence du Liban qui est en jeu.
Personnellement, je ne crois pas à une stabilité à long terme pour
le pays des cèdres.
Je pense personnellement et particulièrement
qu’on ne peut pas parler de “ futur politique”, mais de “futur
proche politique”, car les libanais sont toujours sur leurs gardes,
ne sont pas et ne peuvent pas être tranquilles : événements
plus ou moins attendus/ inattendus, explosions, assassinats...
Le Liban est confronté à des situations conflictuelles, venant
rompre l’équilibre spatio-temporel et économique du pays : Nahr
el Bared, Israël, Palestine... avec deux axes politiques : Iran
/ france-USA. Il y a toujours au grand désenchantement et, à la
surprise des Libanais quelque chose qui arrive, qui doit arriver,
qui arrivera et qui leur échappe...
Je suis d’une manière
générale et dans l’immédiat assez pessimiste. Le Liban a subi et
subit de façon continue une opération chirurgicale, cette opération
peut être gagnée ou perdue, mais ce qui est sûr c’est que le Liban
ne meurt jamais. Il est malade, certes, mais il n’est pas
mourrant.
Qu’aimeriez-vous souligner ou
rajouter d’autre ?
J’aimerais seulement rajouter
le fait que je ne fais pas seulement de la vidéo, que je réalise
aussi des oeuvres immatérielles, c’est-à-dire sans support
artistique matériel, comme le montre par exemple la journée
nationale du tabboulé , qui relève uniquement du domaine de
‘’l’information’’. Cette forme d’art peut s’annoncer comme une
célébration dans la mesure où la célébration privilégie le vécu
comme esthétique et surtout car c’est la prise de conscience de
l’oeuvre qui fait l’oeuvre. Cette représentation non matérielle de
l’oeuvre d’art suggère le fait qu’ “il faut vivre profondément
l’oeuvre” et non pas simplement la contempler
visuellement.